Tunisie: Les filières universitaires nobles, un fonds de commerce juteux pour lancien régime
Par Imededdine Boulaâba
L’un des documents de Wikileaks, qui a fait le tour du monde et mis à nu les pratiques administratives odieuses de l’ancien pouvoir en Tunisie, a dénoncé et stigmatisé les ingérences répétées et flagrantes de l’entourage présidentiel dans la stratégie de la direction générale des affaires estudiantines (ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique), liées à l’échéance de l’orientation universitaire, date fatidique pour les nouveaux bacheliers tunisiens et leurs familles. Pour se réaliser. Aller de l’avant. Entreprendre les études adéquates. Mettre le pied à l’étrier. Coller à l’ascenseur social. Renouveler le pacte républicain. Lié au droit. Au mérite. A l’effort. A l’abnégation. A l’honnêteté. Et à la vertu. Car rien ne devrait remplacer, dans une République digne, la consécration de la rigueur, de la discipline et de la persévérance.
Seulement voilà, le bras long des sbires de l’ancienne équipe au pouvoir, dont le noyau dur était l’un des conseillers le plus influent à la présidence et disposait, à ce titre, du monopole des affaires éducationnelles, n’a pas hésité, d’après des sources concordantes, à avilir les différents ministres liés à l’Education nationale et à l’Enseignement supérieur, en s’adressant directement à leurs plus proches collaborateurs, à s’immiscer dans le travail, par ailleurs très délicat, de la Direction générale des affaires estudiantines et à faire des filières nobles (Médecine, Pharmacie, HEC, ISG, Polytechnique, Etudes préparatoires, Médecine dentaire…) de l’orientation universitaire, un fonds de commerce juteux, un moyen de coercition constant, un levier pour tous les chantages, un système de fidélisation, de clientélisme et de subordination. Ce qui lui a permis, nous dit un ancien ministre, de constituer de véritables réseaux d’influence, de créer la dette auprès d’un grand nombre de familles tunisiennes aisées, avides de perpétuer la reconnaissance sociale à travers sa progéniture et de ratisser large dans un domaine vital, particulièrement sensible, où se joue l’avenir des futurs séniors du pays.
Au fait, depuis deux décennies, nous dit-on, tous les enfants des différentes équipes gouvernementales jouissaient, selon un accord tacite en haut lieu, d’une bourse d’Etat à l’étranger, sur le dos du contribuable tunisien. Beaucoup de ces fils à papa n’ont pas eu à jouer des coudes dans les couloirs des administrations, à se battre pour se frayer un chemin dans les méandres des offices universitaires, à sentir la sueur du bon peuple estudiantin dans les resto des différents campus et à ruminer devant les stations du transport public.
Il s’agit finalement d’enfants, nés avec une cuillère d’or dans la bouche, assistés, depuis l’enfance, grâce à la rente parentale, qui ont pu bénéficier, avec des scores modestes au baccalauréat, de la voie parallèle de la réorientation universitaire. Afin de satisfaire l’égo des parents. De perpétuer le prestige familial (un enfant de médecin doit devenir médecin à son tour). De renforcer la cohésion des groupes sociaux hégémoniques.
Souvent, les enfants du peuple, déclarent certains témoins de ces dérives, n’arrivent pas à obtenir la filière rêvée à cause de quelques centièmes de moins du score requis. Ce qui a laissé à de larges pans de la jeunesse estudiantine tunisienne un arrière-goût d’amertume, de regret, d’injustice et de tristesse tout au long du parcours universitaire.
In fine, l’Etat, pour paraphraser le Général De Gaulle, existe, à condition d’être fort, cohérent, efficace, impartial, respectable et donc respecté, obéi, parce que probe et droit.
Puisse le nouvel ordre tunisien, issu de la révolution du 14 janvier, remettre les pendules à l’heure, retisser les liens sociaux, mis à mal pendant longtemps et replacer la notion du mérite au cœur du nouveau pacte républicain en gestation.
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