La chronique du Dimanche
La réforme de l’enseignement supérieur, clé du développement
Par Sadok BELAID
Le gouvernement vient d’allouer aux régions des crédits de développement assez importants et distribués selon de nouveaux critères de répartition qui tiennent compte des inégalités interrégionales actuelles et visent à les réduire. Par ailleurs, un grand effort de réflexion est actuellement entrepris aussi bien au niveau gouvernemental qu’à celui professionnel et académique en vue de la conception d’un nouveau modèle de développement national capable de réaliser les objectifs et les ambitions de la Révolution. Toute cette énergie a été déployée dans l’urgence et l’on ne peut que se féliciter des progrès enregistrés dans la mise en œuvre d’une politique de relance d’une économie en panne et d’amélioration du taux de croissance exceptionnellement faible de l’année courante.
Cela étant, il faut replacer les choses dans leur véritable perspective et prendre acte de ce que, pour précieuses, opportunes et salutaires qu’elles soient, toutes ces mesures n’ont que la modeste prétention de faire face aux exigences du ‘court terme’ ou au mieux et partiellement, à celles du ‘moyen terme’. – Reste tout le ‘long terme’, qui, lui, représente un tout autre défi parce qu’il implique la transformation d’une économie depuis longtemps essoufflée par " une industrie de sous-traitance, un tourisme en difficulté, une agriculture artisanale, un secteur de services en devenir, une administration corrompue et des ressources humaines non adaptées " (M. A. Darghouth) en une économie dont le dynamisme doit être tel qu’elle puisse, en un mot, lui permettre de s’intégrer solidement et durablement dans une économie mondiale aux ambitions économiques, politiques et sociales autrement plus étendues.
Une telle mutation ne peut être réalisée qu’à la condition que, comme le montre le précédent des ‘Economies émergentes’, la politique de développement soit résolument fondée sur ‘l’intelligence’, c’est-à-dire sur le développement scientifique et technologique et ‘l’innovation’. Car, c’est là le secret de la réussite de ces pays qui, il n’y a pas longtemps encore, étaient, comme la Tunisie, des pays ‘en voie de développement’ mais qui, en l’espace de quelques décennies et grâce à leur politique de formation fondée sur la recherche scientifique et technologique, ont réussi à s’imposer comme des partenaires incontournables dans les activités les plus sophistiquées et les plus pointues, même aux pays les plus développés du monde. Or, cela n’a pu se faire que parce que ces pays ont considérablement investi dans l’enseignement supérieur et la recherche scientifique et que les institutions universitaires-phares, en Inde, en Corée du Sud, en Chine, pour ne citer ces quelques exemples, sont en mesure de rivaliser actuellement avec les universités et les institutions de recherche les plus prestigieuses des pays occidentaux: illustration de cette doctrine des physiocrates qui, dès le milieu du XVIIIe siècle, ont affirmé que lorsqu’un pays dispose de bons savants, de bons ingénieurs, de bons managers et de bons cadres, il sera capable de produire des miracles économiques.
Cet essor considérable des économies émergentes n’est pas venu de rien : c’est tout le système éducationnel qui y a contribué avec succès et sans à-coups, depuis la formation de base jusqu’à la formation universitaire.
C’est cette ‘recette-miracle’ que, pour ainsi dire, notre pays doit mettre en œuvre, ‘les yeux fermés’ !… Pour cela, il faut d’abord, solder le système ‘LMD’, qui était dès le départ, et en dépit des pertes considérables d’énergie et de moyens financiers générées par une application cahoteuse et fortement improvisée, était voué à l’échec en raison de son inadaptation au contexte éducationnel tunisien. Il faut ensuite qu’un effort gigantesque et inédit jusque-là soit entrepris à l’échelle nationale — c’est-à-dire avec la participation de toutes les ‘forces vives’ de la nation — en vue de l’anticipation à partir des options fondamentales du futur ‘modèle de développement’ dont il a été question plus haut, des grandes orientations et des objectifs globaux qui doivent être assignés à l’Université et aux institutions de recherche scientifique et technologique et des plans de mise en œuvre par l’université, de ces objectifs globaux, sur le moyen et le long termes.
Car, c’est dans cet ordre que, logiquement, les choses doivent se faire. Il faut rompre avec la politique actuelle qui, globalement, consiste pour l’enseignement supérieur à former sans être attaché à des objectifs suffisamment bien définis, et pour le monde économique, à prendre quasiment à contrecœur, dans les ‘profils’ universitaires, ce qui, au prix d’un grand gâchis, convient au mieux à ses besoins. Les précédents indien, chinois ou sud-coréen le montrent : l’économie progresse parce qu’elle trouve immédiatement tous les profils universitaires dont elle a besoin. Inversement, l’université, parce qu’elle anticipe l’évolution de ces demandes, produit par avance les profils souhaités par le monde économique et même, lui imposera-t-elle, le recrutement de ses diplômés en raison de leurs qualités technoscientifiques et de leur capacité créatrice et innovatrice supérieures.
A tout cela, deux ‘préalables’ doivent être pris en considération. Le premier ‘préalable’ part de cette vérité incontournable que, comme tout investissement qui rapporte, l’enseignement supérieur et l’activité de recherche scientifique coûtent très cher et même sont, à cet égard, très exigeants, surtout compte tenu du double fait qu’ils comportent beaucoup de risques, et que les efforts dans ces domaines, se situent sur le ‘long terme’ : l’équivalent d’une ‘génération’… De cela, il découle que l’effort financier à fournir est très grand et qu’il ne peut se situer qu’au niveau des prévisions budgétaires propres aux plans de développement. En outre, cet effort très important nécessite la mobilisation de ressources financières exceptionnelles, qui doivent être alimentées par des recettes aussi exceptionnelles comme notamment l’institution d’un impôt particulier et spécifiquement affecté au financement du projet universitaire.
Le second ‘préalable’ consiste en une réforme immédiate et urgente de l’actuel système d’enseignement supérieur. Nous l’avons dit, il faut mettre fin au système ‘LMD’. Mais, en outre, il faut partir du constat admis par tout le monde, selon lequel, en raison des dysfonctionnements et du déclin du niveau des enseignements primaire et secondaire actuels, il faut commencer immédiatement les cycles d’enseignement supérieur par, au moins, une solide année de ‘mise à niveau’ des bacheliers en vue de les préparer à affronter les exigences de niveau et de méthodologie d’un enseignement supérieur de qualité. Quel que soit le choix ultérieur des filières de formation qui seraient suivies par les étudiants, compte tenu de leurs préférences et de leurs performances, le cycle d’enseignement supérieur standard doit être uniformément de cinq ans, dont cette ‘première année’ de ‘mise à niveau’, de formation complémentaire indispensable notamment, en matières de langues, d’informatique et de méthodologie…
Auteur : S.B.(Ancien doyen de la faculté de Droit de Tunis)
Ajouté le : 15-05-2011
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