Tunisie, la laïcité a mené à l’échec des partis de gauche (De la Messuzière)
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Publié le Mercredi 30 Novembre 2011 à 16:20 |
Auteur du livre "Mes années Ben Ali", paru cette semaine, Yves Aubin de la Messuzière, ancien ambassadeur de France à Tunis (2002-2005), a livré ce matin son analyse sur la transition en Tunisie, lors du séminaire "la transition en Tunisie et sa perception internationale", organisé par l’Association des études internationales et la Fondation Friedrich Ebert à Tunis, en présence de diplomates européens, ainsi que d’anciens ministres et d’universitaires tunisiens à l’instar de Khalifa Chater, Taher Sioud, Ahmed Ounaès et bien d’autres.
Il le raconte dans son livre ; les années d’Yves Aubin de la Messuzière sous Ben Ali n’étaient pas un long fleuve tranquille : "pendant mon séjour en Tunisie, j’ai subi des pressions que j’ai écartées avec beaucoup de détermination", dit-il d’emblée. A ses yeux, même s’il y a eu des déclarations malheureuses côté français (ndlr : celles de Michelle Alliot-Marie quelques jours avant la révolution), "il ne faut pas dire qu’il y avait connivence entre Paris et le régime Ben Ali ; les relations étaient à l’inverse médiocres et le dialogue difficile".
Selon l’auteur du livre "Mes années Ben Ali", parmi les ressorts de la révolution tunisienne figure la frustration des jeunes. "On a beaucoup glosé sur WikiLeaks qui consacrait quelques centaines de télégrammes pour la Tunisie, les analyses de WikiLeaks étaient aussi les miennes, j’ai beaucoup échangé avec l’ambassadeur des Etats-Unis à ce sujet", souligne celui qui rédigeait, à son tour, des câbles diplomatiques. "J’ai obtenu une autorisation du Quai d’Orsay de publier deux télégrammes diplomatiques dans mon livre, dont un porte sur les perspectives de la Tunisie 2010 où on avait analysé les dérives du régime. Le vrai malaise était celui de la jeunesse, qui était frappée par le chômage et qui ne partageait pas l’espace public".
"En Tunisie, il y avait un système de prédation, de corruption avec le cartel des familles", dit de la Messuzière, c’est ce qui a conduit à l’implosion. Il refuse de parler "de révolution du Jasmin comme se plaisent à l’appeler les médias français, renvoyant à un stéréotype sur la docilité supposée des Tunisiens, mais de révolution de la dignité". Et dexpliquer : "Les jeunes ont rompu leur contrat social avec le régime, il n’y avait plus ce désistement politique d’une jeunesse frustrée".
"Les nahdhaouis ont montré une grande capacité de mobilisation"
"Après la révolution, contrairement à l’Egypte, la Tunisie est allée directement vers la rupture (dissolution du RCD, les anciens ministres écartés, même ceux qui étaient bons, élection d’une constituante), il en a résulté un véritable bouillonnement démocratique, et l’avènement d’une centaine de partis", relève-t-il, évoquant le mouvement Ennahdha.
"Sous Ben Ali, Ennahdha était éradiqué, mais dans la société, il y avait des gens d’inspiration nahdhaouie", indique-t-il. "Même s’ils étaient éradiqués, et même s’ils étaient dans le double-exil intérieur et extérieur, les nahdhaouis ont montré une grande capacité de mobilisation et d’organisation. Ils ont cherché à rassurer, en se référant à l’AKP turc. La référence à la Charia est peu présente dans leurs écrits, focalisés plutôt sur la justice sociale, la lutte contre la corruption, et la pauvreté. Un discours qui rassure, mais il faut rester vigilant", estime-t-il.
La victoire d’Ennahdha aux élections constitue, selon Yves Aubin de la Messuzière, "une espèce de prime pour une formation qui a été victime de répression". "Idem pour Marzouki qui n’avait pas les mêmes moyens et les mêmes réseaux d’Ennahdha et qui était deuxième. Il a, lui aussi, bénéficié de cette prime", souligne-t-il en faisant remarquer : "L’erreur des autres formations progressistes de gauche, était d’avoir été agressives envers Ennahdha. Elles ont mis en avant la laïcité, or ce terme est lié au laïcisme, à l’occidentalisme, c’est ce qui a provoqué une forme de rejet". Selon son opinion, les Tunisiens ont opté pour un vote protestataire qui consacre la rupture avec l’ancien système. "Je connais des amis laïcs qui ont voté pour Ennahdha, car, ils disent que c’est un parti nouveau qui va lutter contre la corruption".
Lancien ambassadeur français à Tunis demeure confiant quant au devenir de la transition démocratique en Tunisie. "La première phase de transition s’est bien passée en Tunisie, et je pense que la deuxième étape va bien se passer aussi. Contrairement aux autres pays arabes, malgré les disparités et les particularismes régionaux, la Tunisie est une société homogène, et c’est ce qui me rend optimiste", dit-il.
Son autre constat pour la révolution tunisienne, tout autant que pour les autres révolutions arabes, est l’absence "de chef charismatique, de Zaïms, de père de la Nation ou de guide de la révolution. Ce type de leadership relève du passé dans le monde arabe".
"L’occident n’a plus le monopole de l’histoire"
Yves Aubin de la Messuzière se dit critique envers "les dirigeants européens qui se sont montrés plus à l’aise avec le statu quo, qu’avec le mouvement de l’histoire en marche", appelant "à comprendre désormais le monde arabe par le biais des valeurs universelles qu’il s’est réapproprié". Et là, il reprend l’expression d’Hubert Védrine qui dit : "l’occident n’a plus le monopole de l’histoire".
Lancien diplomate pointe le discours français anxiogène, en allusion à la déclaration d’Alain Juppé suite à la percée dEnnahdha dans les urnes, qui parlait de "conditionnalité", et de "lignes rouges, en mettant un bémol : "le rôle positif joué par la France auprès de ses partenaires européens du G8, qui suggèraient d’attendre la fin de la transition démocratique pour apporter une aide à la Tunisie".
Yves Aubin de la Messuzière qui se présente comme un expert de la question israélo-palestinienne et du Proche-Orient émet des réserves envers l’Union pour la Méditerranée. "Je n’y ai jamais cru. L’UPM doit être refondée pour qu’elle soit en cohérence avec les aspirations de la jeunesse", suggère-t-il, prônant un retour "à la priorité du dialogue euro-méditerranéen de proximité 5+5, qui n’est pas plombé par le conflit israélo-palestinien". De la Messuzière croit que la centralité du conflit israélo-palestinien dans le monde arabe demeure avec les révolutions. "Il ne faut pas croire que les sociétés nouvelles soient accommodantes, le but des révolutions était certes d’évincer les potentats et les autocrates, mais cette sensibilité au conflit israélo-palestinien existe dans le monde arabe, et en Tunisie aussi, il n’y a qu’avoir ce qui s’est passé à l’ONU, autour de l’Etat palestinien".
Cette conclusion de l’ambassadeur français était une réplique aux propos de Taher Sioud, ancien ministre et président de séance, pour qui, "le conflit israélo-palestinien ne doit pas être un obstacle pour le développement des relations euro-méditerranéennes". Nous y reviendrons. |
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