GHAZI MEZIOU-LES TUNISIENS A LA RECHERCHE DU BEAU PARTI

Les Tunisiens à la recherche du beau parti

Vendredi, 06 Mai 2011 08:01

Dans la série «Amour(s), raison et trahison», les désirs irrésistibles, les coups de foudres et les petites déceptions sont le lot des Tunisiens en cette saison des amours… politiques. Par Ghazi Meziou

Le peuple tunisien a vécu, il y a quelques mois, un traumatisme qui a provoqué une évolution darwinienne d’une partie de ses membres. Ces nouveaux Tunisiens (ou selon l’appellation scientifique «homo politicus tunisianus») ont subi une profonde et inexplicable mutation de leurs fonctions cognitives qui s’est traduite par une passion effrénée pour la chose publique.

A la recherche du parti de leur cœur
Ces nouveaux tunisiens ont alors brusquement abandonné leurs activités habituelles – principalement centrées sur leurs contraintes, ambitions et plaisirs personnels – pour courir de meetings en réunions dinformations et de débats publics en émissions politiques, à la recherche du parti de leur cœur. Une frénésie adolescente de rencontres, de flirts charmants avec les uns et les autres. Une explosion d’hormones politiques en pleine saison des amours.
Pour certains, un meeting, une rencontre, une phrase, parfois même un regard et c’est le coup de foudre, la résonance. Ils savent que c’est lui: le parti de leur vie. Le Grand Amour. Ils courent vers lui au travers des champs politiques. Couleurs pastel, ralentis et collages daffiches: une véritable lune de miel politique.
Dautres ont plus de mal. Lenvie ne manque pas, les hormones sont là, impérieuses. Ils doivent répondre à l’appel de la nature. Le besoin est physique mais rien n’y fait: ils n’y arrivent pas. Ils ont envie du partenaire idéal, du Grand Amour.
La mutation est récente, les homo politucus tunisianus sont encore adolescents; ils cherchent un beau parti, un parti en qui ils peuvent avoir confiance; ils cherchent le parti de leur vie. Un parti qui soit en même temps, jeune et expérimenté, à la fois fort et doux, un parti qui assure la sécurité financière et la qualité de vie, qui récompense le mérite personnel sans compromettre la cohésion sociale, un parti respectueux de tous et soucieux des plus démunis, un parti qui ne laisse personne sur le bord de la route. Sexy à souhait.

L’homo politicus tunisianus indécis et en manque d’amour
Mais aucun parti ne trouve grâce à leurs yeux; ils n’ont pas de déclic: les partis sont tous charmants, tous cajoleurs, mais aucun ne réunit toutes les qualités qu’ils cherchent dans le parti de leur vie. Ils voient bien que ce qu’ils cherchent est là, à portée de main, mais dispersé, éparpillé entre plusieurs partis. Ils regardent celui là et ils aiment sa grandeur d’âme, son engagement pour la justice sociale, la vielle passion qui l’anime. Le charme passé, ils n’y voient pas suffisamment de force et de sécurité financière, pas suffisamment d’énergie pour réaliser leurs rêves.
Ils tombent sous le charme irrésistible d’un nouveau parti, à la jeunesse innovante et volontaire, aux promesses tentantes, mais ils ne sont pas rassurés: sera-t-il assez puissant le Grand Jour, le jour ou consentants, ils lui donneront leur vote.
Un autre leur semble plus expérimenté, plus rassurant, peut être moins susceptible d’exploits mais à la force plus tranquille. Les histoires qui se racontent sur lui, ses ex-amours les dissuadent et déjà un autre parti émoustille la sensibilité politique exacerbée de nos homo politicus tunisianus indécis et en manque d’amour.
Ils se mettent à rêver de polygamie, pourquoi en choisir un, pourquoi pas deux, trois ou quatre? Mais, la démocratie est cruelle et monogame; elle ne donne qu’un bulletin de vote à chacun d’entre eux. La polygamie n’est pas la solution. Alors quoi faire, à qui se donner, vers qui se tourner?
Certains trouvent la solution, ils voudraient que tous ces partis charmants et imparfaits se rejoignent, se fondent dans un magnifique beau parti, au charme dévastateur qui saura leur faire sauter le pas et prendre en douceur leur vote fondateur. Ils écrivent, lancent des appels à la constitution de fronts, s’associent en groupes d’amoureux de l’union...
Mais les partis ne l’entendent pas de cette oreille. Eux aussi se cherchent, hésitent...
Certains, sûrs de leur fait ou de leur défaite, veulent l’union sauvage, immédiate. D’autres, sûrs de leur charme ou, au contraire, soucieux de vérifier leur pouvoir de séduction, veulent continuer, sur leur seul nom, à susciter l’adhésion des homo politicus tunisianus. Certains encore, jouent les pères la pudeur ou les vierges effarouchées de perdre leur vertu dans cette orgie politique: pour eux aussi, c’est une première fois, un premier rendez vous électoral.

Tous unis contre le grand méchant loup
Mais les faits sont têtus et malgré leur hésitation, ces partis finiront par s’unir pour le meilleur et sans doute, pour certains, pour le pire. Déjà, ils discutent, essayent de trouver des compromis, des accords de circonstances, de faire valoir leurs charmes et le nombre de leurs adhérents. Ils se jaugent, se pèsent, se soupèsent. Ils passent des moments d’euphorie à la pensée du nombre d’homo politicus tunisianus qu’ils pourront séduire par cette union à des moments de doutes à la pensée de la perte de l’amour exclusif que certains leur portent déjà.
Pourtant tous savent que, tôt ou tard, ils s’uniront. Déjà certains fusionnent, d’autres appellent à des listes communes. Certains résisteront jusqu’au vote, mais tous se retrouveront à l’assemblée constituante, unis comme un seul homme pour combattre ensemble le grand méchant loup.
Mais nos homo politicus tunisianus n’en peuvent plus d’attendre; ils veulent choisir; ils rêvent de ce grand parti et ne savent quoi faire pour le provoquer. Ils sont malheureux et les hormones ne les lâchent plus; ils sentent que le grand jour approche; ils deviennent irritables, le temps presse, il faut qu’ils s’engagent. Vite, la saison des amours n’attend pas.
Ils consultent les astres, mais rien n’y fait, les astres ne peuvent rien faire. La conjonction du Taureau et de la Vierge n’est pas favorable à l’union, pas avant l’alignement de Venus
Ils vont voir la vielle femme, la marieuse, celle qui connait l’âme humaine comme si elle était la grand mère du diable et lui racontent leur chagrin. Elle sèche leur larmes, rit et les rassure: mes amis, leur dit-elle, vous ne vous rendez pas compte de votre chance; tous ces partis qui vous attirent sans vous convaincre vont se réunir, ils n’auront d’autres choix que de se réunir en cette belle force politique qui vous fait envie. En attendant ce jour béni ou cette force dominera lassemblée constituante. Vivez votre temps, donnez votre cœur, ouvrez-vous!
Mais à qui?, lui répondirent les homo politicus tunisianus, on ne sait pas, tous nous plaisent mais aucun ne nous fait chavirer et ne nous fait oublier les autres.

Donnez votre cœur au plus pur...
La grand-mère sourit: Celui qui vous fera chavirer viendra en son temps, vous connaitrez le grand amour. Aujourd’hui vous avez la possibilité de le changer avant même de le connaitre, un rêve habituellement inaccessible aux amoureux. Aujourd’hui, si vous voulez que cette force soit plus fougueuse, donnez votre cœur au plus fougueux; si vous voulez que cette force soit plus expérimentée, donnez votre cœur au plus expérimenté; si vous voulez qu’elle soit la plus pure possible, donnez votre cœur au plus pur...
Vous avez la possibilité, par votre choix clairement exprimé et votre engagement dès aujourd’hui auprès d’un parti, de peser sur les rapports de force internes de la force politique qui gouvernera demain notre pays. C’est une opportunité unique. Choisissez selon votre cœur, au plus vite, pour que votre engagement ait le plus de poids possible; votre choix d’aujourd’hui fera les équilibres de demain et parera votre grand amour des qualités qui excitent le plus votre sensibilité politique.
Après, peut être, viendra le temps de la raison.

Cabinet Meziou Knani & associés.