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La chronique du dimanche
Triple victoire… à la Pyrrhus
Par Sadok Belaid
La Haute Instance… (take a breath !) aura ainsi mis trois précieux mois pour produire, sur un vaste programme de réforme de l’Etat qu’elle a annoncé dès la fin janvier, un texte portant sur le système électoral. Publié le 19 mars dernier, ce projet est loin, un mois plus tard, d’être définitivement approuvé et signé par le Chef de l’Etat intérimaire. Officiellement, ce retard est motivé par les réserves du gouvernement sur deux articles importants (les articles 15 et 16, sans parler de l’article 32 sur le système électoral) relatifs à la parité/alternance en faveur des femmes et à l’interdiction faite aux anciens dirigeants du RCD, dissous, de se présenter aux prochaines élections à la Constituante. Le report à la semaine prochaine de la conférence de presse du Premier ministre prévue vendredi dernier est le signe des sérieuses réserves du gouvernement provisoire sur le projet de décret-loi qui lui a été ainsi soumis.
Pourtant, ledit projet a bel et bien été salué comme une grande victoire et même comme un miracle par les membres unanimes de la Haute Instance, qui ont clôturé leurs travaux dans la liesse générale, et en entonnant l’hymne national. Pour eux, il y avait de quoi ! D’abord, la Haute Instance n’a-t-elle pas, comme il se doit, administré aux anciens dirigeants du RCD le sévère châtiment qu’ils méritent et ainsi, vengé la Révolution du 14 janvier, dont elle se considère comme l’intransigeante gardienne ? N’a-t-elle pas ensuite, fait faire aux droits de la femme tunisienne, désormais enrichis du double privilège de la parité et de l’alternance, un bond en avant de plusieurs décennies et qui met notre petit pays à l’avant-garde de toutes les nations modernes ?!
Cet enthousiasme doit cependant, être considérablement tempéré et, en y regardant de près, on est hélas !, contraint de se demander si cette victoire n’est pas, en réalité, une victoire à la Pyrrhus , au grand dam de la Haute Instance et de la Révolution du 14 janvier, elle-même…
Vaine victoire que cette parité/alternance précipitamment octroyée à la femme tunisienne : en dehors du cercle de quelques intellectuelles qui tenaient à saisir cette opportunité, ce privilège fait-il réellement partie de ses priorités, aujourd’hui concentrées sur l’amélioration des conditions de vie de la femme, le réajustement du niveau des salaires, la protection de la famille, la lutte contre l’analphabétisme, la lutte contre la violence conjugale, contre l’exploitation de la femme salariée par des employeurs peu scrupuleux, aussi bien tunisiens qu’étrangers, sur l’accession à la sécurité sociale, et sur l’application effective de la législation sociale et du droit du travail, tous combats qui demandent de la part des partisans des droits de la femme beaucoup plus de militantisme et de sacrifices que de beaux discours ?
Outre qu’elle s’est ainsi méprise sur l’échelle des priorités, la Haute Instance a encore vu son empressement à plaire à son aile progressiste, mal récompensé et aussi, peu apprécié… Mal récompensé, parce que la Haute Instance n’a pas reçu que des éloges pour cette discrimination inverse qu’elle a voulu instituer. Même parmi les femmes, cette initiative lui a valu des critiques très vives en raison de ce qui a été à juste titre ressenti par de nombreuses femmes comme un geste plutôt dégradant et humiliant, outre le fait que le caractère prématuré de cette réforme réduit notablement son effectivité en raison des obstacles socioculturels à son application. Peu appréciée, parce que cette initiative a inutilement mis en difficulté le Premier ministre, lui-même, qui s’est trouvé obligé de préciser qu’il conviendrait de revenir au standard international actuel de 30% la portée à donner à ladite réforme , c’est-à-dire, en fait, à quelque chose qui ressemble beaucoup à la parité actuellement appliquée dans notre pays… Un coup d’épée dans l’eau ! : première victoire à la Pyrrhus …
Plus improbable victoire encore, est cette proposition de la Haute Instance d’interdire les candidatures des anciens dirigeants du RCD à la future Constituante en faisant remonter la date du «péché originel» à la naissance de l’ancien régime, 23 ans en arrière. C’est ce chiffre qui intrigue : surtout, quand on se souvient que dans une première version du projet de texte, il n’était question que d’un effet rétroactif de 10 ans seulement. Ce chiffre de 10 ans, déjà proposé dans le projet de décret-loi électoral publié le 16 mars dernier par un groupe de professeurs de droit indépendants, avait au moins, un sens : il correspondait à la période au cours de laquelle l’hystérie criminelle de l’ancien régime est devenue tellement grave que le silence des dirigeants de l’époque ne pouvait plus être interprété que comme une inexcusable complicité de leur part. Le passage de 10 à 23 ans a montré que pour la Haute Instance, il ne s’agissait pas de punir, de sanctionner, mais bel et bien d’éliminer, d’éradiquer, de faire «l’effet karcher» contre une catégorie de personnes dont le seul point commun qui puisse expliquer l’unanimité qui s’est faite entre les partis représentés au sein de la Haute Instance sur ce sujet précis, est de permettre à ces derniers de se partager la manne qui sera laissée par la disparition des adversaires politiques et des concurrents indésirables au cours des prochaines campagnes électorales. En un mot, il s’agissait d’éliminer le RCD pour recueillir son électorat, son très large électorat, en faisant porter le chapeau à ses anciens dirigeants et en mettant tout cela au compte des objectifs de la Révolution du 14 janvier.
Les auteurs de cette initiative n’ont-ils pas entendu parler de reports de votes et de votes-sanctions ?... N’auraient-ils pas dû se rappeler que, de même qu’ils ont manœuvré pour se venger des anciens dirigeants du RCD, mis tous dans le même panier, ces derniers penseraient, à leur tour, à prendre leur revanche en appelant leurs partisans, nombreux, disciplinés et pleins de ressentiments, à reporter tous leurs votes sur le seul parti qui, tel un maître Renard , sera le seul susceptible d’en profiter : suivez mon regard…. Un effet boomerang mémorable, mais aussi, un petit tsunami dont la Révolution du 14 janvier aurait pu se passer !… Deuxième victoire à la Pyrrhus …
Mais il y a encore une troisième victoire à la Pyrrhus qui se profile à l’horizon électoral de notre pays : quelle que soit l’issue finale de ces controverses et, quelles que soient les solutions de compromis que le Gouvernement provisoire y apporterait, il est probable que l’équilibre politique de la future Assemblée nationale constituante sera sérieusement affecté par l’effet cumulé de ces deux initiatives de la Haute Instance . Le premier facteur est le système électoral choisi : ce système favorisera le plus grand parti en lice. Ennahdha sera royalement servie par le système de liste, et elle le sait, et déjà, elle s en enorgueillit… Le deuxième facteur est que les très probables reports de votes des militants de base de l’ancien RCD vers ce parti islamiste apporteront à ce dernier de précieuses voix supplémentaires et contribueront ainsi, à la création autour d’Ennahdha d’une grande nébuleuse de petits partis, affiliés ou alliés mais squelettiques et gravement anémiés, qui feront d’elle soit un parti dominant, soit, à tout le moins, un parti assez puissant pour qu’il devienne le véritable arbitre du jeu politique non seulement au sein de l’Assemblée nationale constituante mais encore, dans les futures assemblées législatives. La fiévreuse agitation autour d’un projet de déclaration des droits et valeurs que la Haute Instance cherche actuellement à faire adopter avant, comble de la sagesse !, d’en déclarer dépositaire, l’Armée, entre autres!, n’est-elle pas le signe criant de cette profonde inquiétude qui l’a saisie et qui la pousse à conjurer par anticipation, les mauvaises surprises que les futures élections constituantes risquent de lui réserver ?!... Troisième victoire à la Pyrrhus !
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