Le décret-loi relatif à lélection de lAssemblée nationale Constituante, adopté lundi par la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, a été diversement accueilli. Alors que certains le considèrent comme un acquis, voire un grand pas sur la voie de la transition démocratique en Tunisie, d’autres le rejettent partiellement ou totalement. Principal reproche : le texte ne traduit pas la souveraineté populaire, et serait, selon certaines critiques, le produit d’alliances douteuses dictées par les calculs politiciens et partisans. Kaïs Saïd, professeur de droit constitutionnel, nous livre son analyse.
Vous avez émis de réserves sur cette nouvelle loi électorale…où résident les insuffisances ?
Ce décret-loi est un projet, et non pas une loi définitive. Car, la haute instance n’a qu’un pouvoir consultatif. Mes réserves ont trait à la représentativité du peuple souverain. Actuellement, aucune structure, ni instance n’est représentative du peuple. Le nombre de partis et de personnalités qui ont élaboré ce projet de décret-loi est discutable. C’est d’autant plus discutable, que bon nombre de ces partis n’ont vu le jour qu’après le 14 janvier. Ils doivent donc leur existence au peuple. La révolution n’a été guidée par aucune organisation, ni parti politique. Les choix qui ont été faits, l’ont été en fonction d’une certaine lecture de la carte électorale qui ne correspond nécessairement pas aux choix du peuple, à la réalité de notre pays, et aux spécificités de la révolution tunisienne.
Les membres de cette haute instance ont choisi le scrutin de liste par une représentativité proportionnelle. Or, le scrutin de listes ne favorise que les grandes formations politiques, aux dépens des partis moyens et faibles ; n’en parlons pas des indépendants qui trouveront beaucoup de difficultés à se présenter aux différentes circonscriptions électorales.
Pourriez-vous nous expliquer le principe du scrutin de liste à la
proportionnelle ?
Le scrutin de liste repose sur le principe suivant : chaque candidat qui veut se présenter, doit présenter une liste qui comprend de 2 à 4 personnes ou plus, selon le nombre de sièges à pourvoir dans chaque circonscription qui sera décidé après par le haut comité des élections. L’électeur ne peut choisir qu’une liste parmi les listes présentes, une liste bloquée à prendre ou à laisser. Certains affirment que ce mode de scrutin favorise les programmes politiques, ce qui est discutable. Car, la prochaine échéance électorale, n’est pas une élection d’une assemblée législative, ou une élection présidentielle, c’est une élection d’une assemblée constituante. La majorité des partis ont quasiment les mêmes programmes électoraux. Ce mode de scrutin n’est pas approprié à nos réalités, le mieux était de choisir le scrutin uninominal qui permet à un parti de se présenter et dexposer son programme, comme c’est le cas en France.
Certains disent que le scrutin uninominal favorise les riches ou ceux qui tirent avantage de leur position tribale…
Cela est vrai, mais il l’est tout autant pour le scrutin de listes. Les têtes de liste, peuvent être des notables locaux, et tirer ainsi profit de leur position socio-économique.
Il y a aussi le problème de financement douteux des campagnes électorales, qui peut concerner ces deux modes de scrutin, même s’il représente un plus grand risque pour le scrutin de liste. Etant donné que dans ce mode de scrutin, la circonscription électorale est grande et est difficile à contrôler, alors que pour le scrutin uninominal, il s’agit de petites circonscriptions, ce qui permet aux électeurs de contrôler les candidats, et de se rendre compte s’il y a une quelconque source de financement suspecte.
La nouvelle loi a introduit le principe de parité homme/femme sur les listes électorales. Est-ce vraiment à l’avantage de la femme ?
Tout d’abord, les partis politiques n’ont pas tous des femmes en leur sein. La femme n’est pas une sous-race, c’est une citoyenne égale à l’homme. C’est une question de principe de ne pas traiter la femme de cette manière touchant sa dignité. Il s’agit aussi d’une question de procédure et d’application, la présence de la femme en 2è, 3è ou 4ème position, lui conférera un rôle de figurante, puisqu’elle n’aura que très peu de chances d’être élue. Et puis, il ne faut pas oublier les régions intérieures. Il faut prendre en considération la culture et l’état d’esprit qui prévalent dans certaines régions de la Tunisie. A mon sens, si la femme mérite d’être élue, elle le sera, on n’a pas besoin de recourir de cette manière à la parité, ou aux quotas.
Le texte a aussi décrété l’inéligibilité des responsables du gouvernement de du RCD qui ont servi sous Ben Ali pendant 23 ans, comment vous réagissez à cette mesure ?
S’agissant de l’inéligibilité décidée par le décret-loi, interdisant aux membres du gouvernement et du RCD ayant servi sous Ben Ali, de se présenter, le principe est à retenir. Le texte distingue les dirigeants qui ont une responsabilité et ceux qui ne l’ont pas. L’idée dans le projet initial, que nous avons élaboré, était d’écarter ceux qui étaient responsables au cours des dix dernières années du règne du Président déchu.
Vous disiez au début que le texte n’est pas définitif, cest-à-dire que la haute instance peut-être recadrée par le Président par intérim…
Le gouvernement doit prendre ses responsabilités et doit renvoyer le projet de loi à la haute instance pour une seconde lecture. C’est la responsabilité du Président par intérim et du conseil des ministres de délibérer et de prendre cette décision. Le tout est de permettre aux prochaines élections d’être réellement libres et démocratiques et de se dérouler dans la transparence.
Propos recueillis par H.J
|
التعليقات (0)