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Cinéma marocain et droits humains : vérité historique et mensonge cinématographique.

مجرد أغنية

2009-04-04 20:49:39

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Cinéma marocain et droits humains : vérité historique et mensonge cinématographique.
 
« Je choisis toujours entre deux colonnes,
deux petits-poix ».
Catherine Deneuve dans « Tristana » (1970)
de Luis Bunuel

0. En guise de présentation :
Il est évident que l’intitulé en question met en scène le rapport de deux champs esthétique et juridico-politique. Il serait donc bon de rappeler ce que sont ces deux domaines en vue d’en déceler les articulations et les paradoxes dans un contexte marocain.
Techniquement, le cinéma se définit en réalité comme un « procédé d’enregistrer photographiquement et de projeter des vues animées ». Esthétiquement, il est un « art de composer et de réaliser des films » (1). Ses ancêtres sont variés : chronophotographe, kinétoscope, lanterne magique, praxinoscope et zootrope. Ce septième art a pour vocation, semble-t-il, à la fois d’être fidèle, autant que possible, à la réalité qu’il re-produit ou imite (enregistrer) et de donner à « voir » des choses invraisemblables (mentir). C’est dire qu’il est à cheval sur la mimésis et la poësis telles qu’elles ont été conçues par Aristote dans sa Poëtique (2) et développées par Gérard Genette dans Fiction et Diction (3).
Quant aux droits humains (4), ils sont considérés comme des droits naturels, conformes à des règles sociales et morales permises dans une collectivité humaine. Ils sont assez variés à savoir droits civiques, droits du citoyen, droits politiques, droits civils, droits privés, droits réels, droits personnels…Bref, civiques, économiques, sociaux et culturels, ils ont été élaborés par la Constituante en 1789 et améliorés par des Associations, des Accords et des Conventions signés entre les nations et les peuples surtout après les deux guerres impériales.
Partant, le cinéma semble être le moyen le plus efficace d’enregistrer l’évolution des droits humains grâce à des films documentaires ou de fiction, muets ou parlants. En effet, nombreux sont les films qui ont mis en scène les infractions de ces droits ou les injustices de et à l’égard l’Homme. Pour nous en convaincre, il est utile de citer, entre autres, certains chefs-d’œuvre, comme « Intolérance » (Griffith ,1926), « Les Temps modernes » (Charlie Chaplin), « Z » (Costa Gavras, 1968), « La Ligne générale » (Eisenstein, 1929), « La Momie » (Chadi Abou Abdessalam, 1968), « Sabots en or » ( Nouri Bouzid, ), « Le Coiffeur du quartier des pauvres » ( Mohamed Reggab, 1982)….
Notre réflexion, à dessein assez sélective, sera axée sur certains films qui appartiennent à un genre que nous pouvons qualifier de « nouveau réalisme marocain » dans la mesure où ils s’attaquent à une nouvelle thématique cinématographique qui se rattache aux années du plomb qu’a connues le Maroc. Pour des raisons didactiques, ce corpus ne comporte que deux films à savoir « La Chambre noire » de Hassan Ben Jelloun et « J’ai vu tuer Ben Berka » de Serge Le Péron. A ce propos, notre approche se veut de négocier avec ce nouveau cinéma par deux sortes de postures : elle est un regard à la fois « narcissique » (se trouver dans, coller à) et « pervers » (être en dehors de, décoller de), et qui l’avantage de garantir cette critique.
 

I. Cinéma marocain et droits humains :
A. Vérité historique et Fascination :
Les réalisateurs - Hassan Ben Jelloun et Serge Le Péron – s’ingénient autant que possible à reproduire des faits tragiques de l’histoire du Maroc en mettant en scène une thématique politique et en faisant preuve d’un souci de fidélité au contexte spatio-temporel pour présenter une image précise de l’époque, comme l’esthétique du réalisme l’exige.
a) Une thématique politique :
Les deux films en question traitent tous, mais à quelques différences près, la question politique en mettant l’accent sur la répression, le manque de liberté, l’enlèvement, l’incarcération, les interrogatoires, la torture à la fois morale et physique voire le crime ou la liquidation corporelle comme c’est le cas de Mehdi Ben Barka.
b) Le souci de réalisme :
Chez ces deux réalisateurs, ce souci se traduit dans le fait qu’ils recourent à certains détails qui renforcent la dimension référentielle de leurs films. Roland Barthes souligne dans un article célèbre « Effet de réel » (5) que très souvent certains détails sont de taille en ce qu’ils renvoient à une « réalité » et participent à une sorte de configuration spatio-temporelle, tels le « baromètre » de Flaubert et la «petite porte » de Michelet.
Sur le plan de la configuration spatio-temporelle, le film de Hassan Benjelloun « La Chambre noire », par exemple, s’ouvre sur l’image d’une voiture noire Fiat dont le modèle rappelle les années soixante-dix à la quelle renvoie explicitement l’énoncé inscrit sur la vitrine d’un coiffeur: « Bonne année 1975 ». S’y ajoutent également d’autres indices tels, le décor, le costume, la musique (marocaine (Bouchaib Lbidaoui), andalouse ou orientale (= Oum kelthoum, Fayrouz)), le drapeau marocain, les camions de la Marche Verte, le passeport vert, l’image du roi Hassan II, « Mondhamat Ila Lamam » et le chiffre « 122 ». Ce souci d’objectivité se trouve renforcé davantage par l’évocation des lieux comme l’aéroport Mohamed V (Royal Air Maroc), Casablanca, Chaoun , le théâtre Municipal, et le lieu d’incarcération (Derb Moulay Chrif).
Dans « J’ai vu tuer Ben Berka », on peut noter le recours à quelques images historiques en blanc et noir et des lieux « réels », tels la Brasserie de Paris et de la villa, voire des noms de certains personnages réels comme Mehdi Ben Barka, Georges Figon, Marguerite Duras, Georges Franju, ou de « Hajj » (= le Tortionnaire), Si Moudadich (le père), les juifs marocains, Allal Lfassi , Salah El Ouadia, et Jaouad Mdidech en personne (mais juste à la fin) dans « La Chambre noire »….etc.
 
 
B. Mensonge cinématographique et Distanciation:
Or, nos deux réalisateurs ne sont pas aussi fidèles que nous pouvons le croire. En effet, traduire un fait historique en image tout en veillant d’être partial est une entreprise fort impossible. Cela relève du mensonge cinématographique : « c’est du cinéma ».

a) Les contraintes fictionnelles du mensonge :
1. Le Titre :
Contrairement au film de Serge le Péron, le titre du film de Hassan Ben Jelloun intrigue le récepteur, parce que la version arabe ne correspond pas du tout à la version française. Tout se passe comme si le réalisateur croyait pouvoir atteindre différents horizons d’attente en variant les paratextes. Or, cette dualité peut nuire à la réception du film, sachant que le titre, comme le souligne Gérard genette (6), représente en réalité le premier seuil à franchir avant d’entrer dans l’univers de la fiction. Car, seul un récepteur arabophone et francophone bien averti est capable de suivre la hiérarchie des deux énoncés arabe et français pour en construire une seule phrase qui serait « Derb Moulay Chrif (EST) La Chambre noire » (7).
Sur le plan narratif, le titre de Serge Le Péron est le paroxysme du leurre. Nous sommes persuadés au départ qu’il sera question d’un récit pris en charge par un témoin oculaire auquel renvoient le pronom personnel et, de temps en temps, la technique de la caméra subjective dans le film (le rendez-vous …). Or, le dénouement (dénouement s’il y a ), nous laisse sur notre faim, dans la mesure où nous n’avons pas vu exactement qui a pu commettre un tel crime. Absent dans le titre, le sujet réel du verbe « tuer » est par là évacué du champ visuel du narrateur et de celui du spectateur.

2. Le Récit :
i. Récit filmique et configuration spatio-temporelle :
A ce propos, il est aisé de constater que les films sont basés sur le récit biographique et/ou autobiographique de deux figures militantes à savoir Mehdi Ben Barka et Jaouad Mdidech. Les deux films réduisent l’expérience de deux vies en un durée assez courte qui varie entre 1 H 41 m et 1H 52 m. L’ellipse joue, au niveau du montage, un rôle prépondérant, car elle permet de passer l’éponge sur des événements déterminants de l’Histoire marocaine. A cette réduction de la facture temporelle s’ajoute une sélection assez dénaturalisante des lieux.
ii. Récit filmique et actants :
Si le réalisateur de « J’ai vu tuer Ben Barka » a conservé les noms réels des personnages historiques, Hassan Ben Jelloun a préféré remplacer Jaouad par Kamal. Ce système onomastique constituer, en réalité, une sorte de parasite qui est à même d’empêcher l’identification les personnes concrètes ou réelles à qui renvoient les personnages de la fiction. Plus, il a même intégré d’autres ingrédients qui relèvent plus de la fiction que de la réalité, et qui ne figurent pas dans le texte d’où le film est inspiré, en vue de plaire au public qui est, dans la plus grande majorité, un consommateur –dit-on à tort ! - féru des films égyptiens et hindous dont la matière essentielle repose sur une thématique banale : mariage, amour. Pour s’en convaincre, il suffit de relire le synopsis du film de Hassan ben Jelloun :
« Kamal et Najat travaillent ensemble à laéroport. Follement amoureux, ils fondent ensemble de grands projets davenir. Malheureusement, son passé dancien étudiant marxiste léniniste rattrape Kamal. Commence alors une longue descente aux enfers: enlèvement, interrogatoires, tortures... Kamal refuse de charger ses camarades en contrepartie de la clémence des juges. Le verdict sera lourd. » (8).
C’est dans ce sens également que le traitement assez singulier de la matière historique dans « J’ai vu tuer Ben Barka » a fait que les critiques du cinéma ont classé le film dans le genre du « thriller, drame » (9). C’est pourquoi, il est judicieux d’intégrer cette fiction dans un courant qu’il est possible d’appeler « néo-orientalisme » où Mehdi en Barka n’a derrière le nom qu’il porte que les « sentiments que l’on a au milieu de la France », pour pasticher les propos de Pierre Corneille qui critiquait fort la représentation du monde Turc dans Bajazet de Racine.
Ainsi, les deux films acquièrent-ils toutes les caractéristiques du genre fictionnel non référentiel, en mettant en scène une thématique amoureuse et policière, qui introduit un hiatus entre la représentation filmique et la réalité historique, laquelle abolit le temps mythique.
 
b) Le Cinéma et le Réel :
1. Réel et réalité :
Loin de reproduire le réel, le cinéma, à l’instar des autres formes d’art (dessin, peinture, photographie..) et de la littérature ne peut que donner une image du monde réel qu’il est judicieux de qualifier « réalité ». C’est dire que tous les ingrédients qui sont susceptibles d’imiter le Réel se réduisent à quelques « effets déformés du réel ». Les deux films de Serge le Péron et de Hassan Ben Jelloun se suffisent à eux-mêmes et se trouvent ipso facto loin d’être des documents historiques fiables pour les générations à venir. De ce fait, ils sont loin d’être des documents auto-biographiques ou des Mémoires fiables.
2. Cinéma et affabulation :
Par le truchement de la déformation (ajout, suppression), le film de Ben Jelloun sombre dans la fiction à la fois mensongère et divertissante ; comme en témoigne le recours au procédé du dessin animé pour filmer un boulevard, une camionnette et le tribunal. En outre, la misère de « La Chambre noire », c’est que la symbolique se donne à voir comme point de départ, à commencer par le titre (qui est d’ailleurs une amphibologie), par la voiture noire qui ouvre le film, par l’obscurité des lieux d’incarcération et des quartiers. En réalité, cette pléthore d’indices représente un excès d’information, qui met en cause, paradoxalement, la vraisemblance des faits.
D’ailleurs, tout le brio filmique de Serge Le Péron se trouve réduit à mettre en place un schéma narratif et actantiel où le crime et l’enquête policière relèguent l’Histoire au second plan. Et si Hassan Ben Jelloun met de côté la langue de Molière qui est la langue originale du texte de Jaouad Modidech et recourt à la langue dialectale et à la langue amazigh ; nous sommes sidérés cependant dans le film de Serge le Péron, du fait que Ben Barka ne parle que français : il est, par là, comme francisé, et perd toute vraisemblance. Tout se passe comme si « L’affaire Ben Barka » ne pouvait « passer » qu’à travers une langue occidentale (10).
De ce fait, ce genre de cinéma se transforme en un outil d’affabulation, de manipulation des consciences et de la mémoire des peuples. Ces deux fictions veulent nous dissimuler qu’elles masquent la vraie l’Histoire, en la tenant cachée derrière son dos. Elles sont horriblement une « négation de la négation qu’elle EST » (11), à l’instar du héros de « La Chambre noire », qui renie ouvertement ses idées.
 
 

III. Pour conclure
Ces remarques assez expéditives engloberaient, avec certaines nuances, d’autres films qui traitent de la même problématique, comme « Mémoire en détention », « Mona Saber », « Faux pas », « Chroniques d’une vie normale », « Soif », « Jawhara Bent Lhabs »… La différence réside cependant dans le fait que certains d’entre eux sont inspirés explicitement de l’Histoire marocaine, comme dans « Soif » (mais, ô combien déformée, car exotisme l’exige !), « Mona Saber » (Abdel Hay Laraki), « Faux pas » ( Lehcen Zinoun) (dédié à Evelyne Serfati), tandis que d’autres sont de portée générale, dans la mesure où ils traitent de la question politique en rapport avec la mémoire « Mémoire en détention » (Jilali Farhati) qui est le seul, à notre avis, résout cette confusion de l’historique et du fictif, en ce que la question politique y devient une problématique universelle.
Nous nous sommes efforcés de montrer que – si impartiale soit-elle- la volonté de re-produire une matière historique est fort discutable. Certaines menues notations notamment peuvent nuire au projet de certains artistes et même les trahir.
En somme, loin de faire l’historien, nous pensons qu’un réalisateur est astreint à faire preuve de déférence et de fidélité à l’égard de l’Imaginaire collectif d’un peuple et que le spectateur averti est appelé à mettre fin à l’hypnose, qui le guette . Bref, il n’y a pas lieu de badiner avec l’Histoire.
 

Bouchta FARQZAID
 
 
 
 
 
 
 
Marge :

1. Le Petit Robert, par Paul Robert, Edition 1992.
2. Aristote, La Poëtique, Paris, Ed. Le Livre de Poche, classique, 1990, introduction, traduction et annotation nouvelle de Michel Magnien.
3. Roland Barthes, « Effet de réel » in Littérature et réalité
4. Certaines associations préfèrent cette appellation à celle des « droits de l’homme », puisque cette dernière phrase laisse entendre comme une sorte de ségrégation à l’égard des femmes, des enfants…
5. Gérard Genette, Fiction et Diction, Paris, Seuil, 1991
6. Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, 19
7. A notre connaissance, ce phénomène de doubler le titre n’est pas de mise chez un grand réalisateur tel Akira Kurosawa, dont les films ont atteint un large public.
8. Cf. entre autres le site suivant: http://www.maghrebarts.ma/cinema/films/326.html et www.africine.com
9. Cf. http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=59231.html
10. Pour lever toute ambiguïté, nous pensons que certaines scènes devraient être vraisemblables.
11. Stéphane Zagdanski, La Mort dans l’œil, Paris, Maren Sell Editeurs, Seuil, 2004, p.48
 



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