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Aujourd’hui 150e anniversaire de la promulgation de la première Constitution de la Tunisie moderne
Un texte fondateur resté symbolique
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La première Constitution dans le monde musulman
Quel que soit le sort qui lui a été réservé plus tard, la Constitution tunisienne du 26 avril 1861 reste pour nous un motif de fierté, un sujet à méditer. La deuxième dans notre histoire constitutionnelle trois fois millénaire après celle de Carthage, promulguée au milieu du Ve siècle avant J.-C., la Constitution de 1861 est, en effet, la première du genre dans le monde musulman. Celle de l’Empire Ottoman ayant été promulguée en 1876.
Fruit d’un processus réformateur puisant ses origines dans la volonté de certains souverains tunisiens de moderniser l’Etat et le pays ainsi que suite à la pression des grandes puissances désireuses de limiter les pouvoirs du Bey, la Constitution de 1861, dont nous fêtons aujourd’hui le 150e anniversaire de sa promulgation, a été précédée de plusieurs réformes.
Sans aller jusqu’à citer «Al mizen» (la balance), le décret de Othman Dey (1610) stipulant la nécessité d’établir des relations justes entre gouvernants et gouvernés ou encore le texte de Hamouda Pacha Bey (1784) dans le même sens, disons que la décision d’Ahmed Pacha Bey d’abolir l’esclavage dès le 26 janvier 1846 constituait les prémices de l’évolution réalisée en 1861.
Evénement historique à marquer d’une pierre blanche (on devrait le célébrer comme une fête nationale) qui non seulement avait annoncé l’abolition de cette abjecte pratique mais avait assuré toutes les garanties aux affranchis afin qu’ils jouissent pleinement de ce droit à la liberté, le Bey s’était porté garant de l’application rigoureuse de cette décision.
Cet élan réformateur fondé sur le désir d’Ahmed Pacha Bey de rattraper le retard de notre pays par rapport aux nations évoluées a permis entre autres la naissance d’une élite intellectuelle éclairée qui allait aider à concrétiser ce processus.
Sachant que cette élite a pu séjourner en Occident et constater d’une manière très rapprochée les bienfaits du modernisme.
Des réformes ont été donc entreprises avec l’enthousiasme des ulémas qui, pour la première fois depuis des siècles, ont compris que ces réformes n’étaient pas des actes d’égarement (bidaâ).
C’est ainsi, et sous la pression des puissances occidentales, que la Tunisie se dota le 9 septembre 1857, sous M’hamed Bey, d’une déclaration garantissant les droits fondamentaux des citoyens mais aussi des ressortissants étrangers. Appelée pacte fondamental (Ahd El Amen), cette déclaration était une sorte d’engagement du Bey à assurer la sécurité de ses sujets et des ressortissants étrangers dans son royaume, quelles que soient leurs origines ethniques et leurs croyances religieuses.
Longs préparatifs
Si importante soit-elle, cette déclaration ne pouvait que légèrement limiter le pouvoir absolu du Bey. Encore une fois, sous la pression des puissances de l’époque, M’hamed Bey entreprit dès novembre 1857 de traduire cet engagement dans un texte à force de loi qui s’inspirera des articles du Pacte fondamental mais qui régira les relations entre gouvernants et gouvernés et entre les différents pouvoirs.
Un texte qui ne pourrait avoir pour nom que celui de «constitution».
Une commission fut alors mise sur pied pour la préparation du projet de Constitution. Elle fut reconduite après la mort du Bey par son successeur Mohamed Sadok Pacha Bey (novembre 1859).
Ladite commission fut élargie «en admettant en son sein les membres de la Cour de cassation dite de «Révision» et de la Cour criminelle pour devenir le Conseil suprême» (Mahmoud Bouali Introduction à l’histoire constitutionnelle de la Tunisie-Tome 2 p.15). Présidée par Kheireddine Ettounsi, cette nouvelle instance allait constituer l’un des piliers de cette grande réforme. Car une monarchie constitutionnelle n’est viable que grâce à une assemblée. Quoique non élu, donc ne représentant pas le peuple, ledit conseil était composé d’une élite dont la plupart des membres étaient animés de la volonté la plus sincère et la plus engagée pour le bien du pays.
Après le travail du Conseil suprême, Mohamed Sadok Bey signa le 29 janvier 1861 le texte. Celui-ci entra en vigueur le 26 avril de la même année. La veille, le Bey renouvela son investiture pour qu’elle devienne conforme à la Constitution et le 26 avril il prêta serment devant le Conseil pour le respect du fameux texte. Il sera suivi dans cet acte solennel par tous ses collaborateurs et les membres des instances de l’Etat. Le Bey prononça ce jour-là un discours dans lequel il réitéra son engagement pour le respect de la Constitution et il expliqua les modalités prises pour son application.
Ce à quoi Kheireddine, président du conseil, répondit par des propos élogieux. La Constitution de 1861 avait prévu la séparation des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle prévoyait la destitution du Bey lorsque ce dernier viole volontairement les lois politiques du pays.
Hélas, la pratique politique conduite par le Bey était aux antipodes de la Constitution. Les conditions climatiques défavorables et la corruption qui rongeait le pouvoir allaient aboutir aux soulèvements des tribus et la fameuse révolte de 1864 finit par éclater. Résultat : le Conseil suprême fut dissous et la Constitution tomba par la force des choses en désuétude.
En 1881 et en vertu du traité du Bardo (12 mai) puis de la convention de La Marsa (8 juin 1883), la Tunisie devint une colonie française avec un régime spécial qui déguisait cette situation, le protectorat.
Cheval de bataille du Destour
Avec l’apparition du Mouvement des jeunes tunisiens en février 1907, la Constitution de 1861 refit surface. Ces militants, assez courageux et très intelligents fondateurs de la tactique des étapes, avaient déterré la Constitution de 1861 et firent tout leur possible pour démontrer, du moins juridiquement, qu’elle était toujours existante même si elle était tombée en désuétude et qu’elle devrait être rétablie. En s’accrochant au traité du Bardo et en ignorant la convention de La Marsa et surtout en faisant appel aux élites françaises imbues de l’esprit des Lumières, ils ont milité pour le retour de la Constitution de 1861, allant jusqu’à mandater deux éminents juristes français pour approuver leurs thèses (J. Barthélemy et A. Weiss). Ce que les spécialistes firent en abondant dans le même sens que leurs mandataires.
Avec la création du Parti libéral constitutionnel (Destour), les revendications constitutionnelles devinrent explicites et urgentes. Objectif : limiter le pouvoir absolu du colonisateur exercé à travers un Bey fantoche et totalement soumis à la volonté absolue de ce même colonisateur, dans le cadre du plus perfide montage juridique de l’histoire des relations internationales.
Après les événements d’avril 1938 au cours desquels le peuple avait revendiqué la création d’un parlement tunisien (reconquête de la souveraineté), le Néo-Destour, ayant vu le jour le 2 mars 1934 suite à une scission avec le Parti originel du Destour, décida en 1949 la création d’une commission en vue de doter le pays d’une nouvelle Constitution. Celle-ci verra le jour le 1er juin 1959, soit plus de trois ans après l’indépendance du pays, le 20 mars 1956, et l’élection d’une Constituante au suffrage universel secret et direct le 25 mars de la même année.
Aujourd’hui, le peuple tunisien se prépare, le 24 juillet 2011, à élire une Assemblée constituante qui aura la charge de promulguer la Constitution de 2011 et à fonder ainsi la seconde République.
B
ouali, le spécialiste de l’histoire constitutionnelle du pays
• Une énième victime de la machine infernale de la censure novembriste
Impossible de parler de la Constitution tunisienne de 1861 sans faire un survol de l’histoire constitutionnelle du pays. Entreprise qui ne pourrait ignorer un ouvrage en trois tomes sur la question, rédigé par Mahmoud Bouali et édité en 1963 par Ennajah.
Impossible aussi d’évoquer l’ouvrage en question sans parler de son auteur. Surtout en ce moment de l’année. Si Mahmoud a en effet écrit son premier article à La Presse le 17 avril 1956 soit il y a 55 ans alors qu’il n’avait que 23 ans ou presque. En cette année durant laquelle notre journal fête ses 75 ans, la complicité Bouali-La Presse est bien historique.
En effet et en plus de ses éphémérides quotidiennes. Si Mahmoud livrait à nos lecteurs l’essence de ses recherches historiques surtout dans le volet relations diplomatiques de la Tunisie ainsi que les étrangers ayant vécu chez nous.
Avec sa patience légendaire, il venait certains matins le gros cartable en cuir plein de fiches. Depuis une dizaine d’années et vu son âge, il préférait envoyer sa rubrique par porteur avec une précision de montre suisse non sans la faire accompagner de mots gentils à l’égard de la rédaction.
Il gardera d’ailleurs ce statut jusqu’à la retraite.
Enseignant, syndicaliste, l’un des compagnons du martyr Farhat Hached, il s’est retrouvé une autre vocation, celle d’historien, car il était surtout un rat de bibliothèque. Mieux encore, une mémoire à toute épreuve.
Après l’indépendance, le président Bourguiba le chargea d’une fonction assez spéciale et sans même le nommer officiellement : documentaliste de la présidence. Il devait choisir la lecture du chef de l’Etat et l’éclairer sur l’histoire du pays. Soit une relation très rapprochée et pleine d’anectodes ayant duré jusqu’au 5 octobre 1986.
«J’ai quitté le palais de ma propre volonté après avoir réalisé que Bourguiba ne pouvait plus lire», nous avait-il confié l’autre jour. «J’ai dit à Amor Chadly (le Pr Chadly était à l’époque ministre directeur du cabinet présidentiel - Ndlr) je ne peux plus supporter de voir Bourguiba dans cet état là», avait-il ajouté.
Mais un jour de fin septembre 2010, sa rubrique quotidienne fut rayée d’un seul coup. Cette mémoire dérangeait visiblement certains hauts décideurs qui voulaient à tout prix confisquer ce trésor. Si Mahmoud avait en effet pris l’habitude depuis un certain temps d’évoquer des citoyens, intellectuels, militants associatifs ou autres. Cela dérangeait à coup sûr certains décideurs chargés de faire le vide autour du président aujourd’hui déchu et qui orchestraient cette mascarade donnant lieu à un ridicule culte de la personnalité.
Cette paranoïa atteint son paroxysme lorsque Si Mahmoud nous envoya un article à travers lequel il élucida une énigme qui triturait constamment les méninges des historiens : «Pourquoi les Américains ne se sont-ils pas interposés pour empêcher le général Giraud de détrôner et faire déporter Moncef Bey le 14 mai 1943‑?».
La machine infernale de la censure novembriste donna le coup de grâce à la collaboration historique Bouali-La Presse. Cette dernière sera-t-elle ressuscitée bientôt ? Espérons-le.
F.A.
Auteur : Foued ALLANI
Ajouté le : 26-04-2011
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